/Bibliographies papier : à qui ça sert ?
­

Petit coup de pouce au changement

Bibliographies papier : à qui ça sert ?

7 juin 2010

« A vous de lire » : 3 jours pour le livre, des milliers d’affiches, de signets et de livrets de suggestion de lectures. Pour qui et pourquoi une bibliographie a-t-elle été diffusée à cette occasion ? Le Centre national du livre pour la jeunesse – Joie par les livres dit avoir sélectionné « 100 livres récents pour tous les âges » avec un double objectif :
– rendre hommage aux auteurs, éditeurs et libraires
– aider les adultes (parents, éducateurs et professionnels) et les jeunes lecteurs à choisir dans la production foisonnante.

La lecture de la brochure suscite des questions par rapport aux objectifs annoncés :

Avousdelire small« Livres récents » : d’accord pour les livres parus en 2010 et 2009 mais pourquoi remonter jusqu’à 2001 ? Les professionnels qui suivent la production ont déjà acquis bien de ces titres déjà anciens et les parents qui voudraient les feuilleter en librairie avant achat ont peu de chances de les trouver. La brochure est sortie trop tard pour que les professionnels puissent s’en emparer et faire la promotion des livres sélectionnés ; les libraires pour les commander, les bibliothécaires pour rassembler les titres.

« Pour tous les âges » : la mention de couverture induit en erreur. La sélection ne concerne en effet que les livres de jeunesse (1) ! Et pourtant l’idée de faire une sélection « pour tous les âges » était bonne, d’autant que le CNLJ diffuse déjà en fin d’année et sous la même forme une recension des meilleurs titres jeunesse parus dans l’année.
Cela aurait pu être l’occasion par exemple de proposer une recension originale de livres « grand large » appréciés des adultes, donnant ainsi un coup de pouce aux éditeurs (2) qui prennent des risques en publiant ces albums  » intergénérationnels » à rotation lente ! Dans ce registre, le livret propose déjà Une si jolie rencontre (Seuil), La fille des batailles (Casterman), L’indien de la tour Eiffel (Seuil), qu’il aurait été facile de compléter par d’autres titres.
A noter que le découpage par tranches d’âge est très discutable : Maestro (Ecole des loisirs) et Cascades et gaufres à gogo (Thierry Magnier) vivront mieux au collège ; Noé (Bayard) au CM2 et en 6e !

« Hommage aux libraires ». Depuis 4 ans, se déroule en mai la quinzaine des librairies Sorcières. Chaque libraire choisit un album coup de cœur paru dans l’année et le présente, en vitrine ou sur table, avec les 47 autres titres choisis par ses collègues partenaires. A cette occasion un imagier de 48 visuels (correspondant aux 48 livres) est offert aux clients (3). Le CNL est-il conscient d’interférer avec l’opération de ces libraires jeunesse ?

« Aide au choix ». On le constate chaque jour en librairie et en bibliothèque, ce qui fait acheter, emprunter puis lire, ce sont les présentations sur table, les conseils et le bouche à oreille. Pourtant certains continuent à éditer occasionnellement des bibliographies papier, parfois luxueuses, toujours coûteuses, au moins en temps et dont l’expérience montre qu’elles profitent à très peu de gens et que beaucoup d’exemplaires vont directement à la poubelle. Sans doute valorisent-elles professionnellement ceux qui les font : on lit (ou on laisse à penser qu’on a lu), on analyse (ou on repique une analyse), on rédige, donc on travaille ! En fait on travaille pour soi et entre soi, en oubliant que le monde a changé : qu’il y a pour les lecteurs autonomes pléthore d’écrits sur les livres – sites, blogs, revues – et que pour les autres, ce n’est pas de consulter des listes qui fait lire mais d’écouter des lecteurs raconter leur lecture ! Il est temps d’abandonner un travail stérile pour adopter des formes fécondes qui donnent des chances aux ouvrages d’être lus !

Pitié aussi pour la planète, halte à cette inflation de brochures papier, outil obsolète, mangeur de temps et croqueur d’argent ! La priorité, c’est d’aller au devant des publics avec les livres en main et en bouche !

Véronique Marie Lombard (Livralire) juin 2010

(1) Etonnant le choix d’une BD adulte : « Le scorpion » !
(2) Les éditions Etre sont économiquement malades de leur audace.
(3) Regrettable dissidence : une librairie « sorcière » a choisi un titre de 1999 et une autre, un documentaire.

Libérons les livres ! 22 janvier 2013
Frilosités 29 décembre 2008
Décloisonnons ! 14 juillet 2008
La valse des romans 3 avril 2007
Classement des albums 12 novembre 2001