/Quand le désir de lire est sabordé par ceux-là mêmes qui devraient l’éveiller !
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Petit coup de pouce au changement

Quand le désir de lire est sabordé par ceux-là mêmes qui devraient l’éveiller !

4 février 2007

Nadia, Stéphanie et Alice, élèves de 3e, ont pris place au CDI au milieu de jeunes de 4e. Elles présenteront un roman de la sélection Tuliquoi. Leur tour venu, elles déplacent des chaises, se déguisent et jouent le début du roman « Une virée d’enfer » de Thierry Robberecht (Labor). Ce qui me frappe ce n’est ni la diction, ni le jeu scénique assez quelconque, mais l’intensité de leur investissement. Elles sont à leur affaire. Les adolescents le sentent. Ils applaudissent. A fin de la rencontre, quand les voyageurs de 4e sont invités à emprunter les romans, elles viennent me voir.

  • Madame, c’était trop bien l’an dernier le voyage-lecture. On n’a pas beaucoup lu mais le cabaret, c’était trop génial. Prendre la peau d’un personnage, se donner à fond, monter sur scène devant les autres. C’est pour ça qu’aujourd’hui, on voulait présenter un roman. Est-ce qu’on pourra aider les 4e ?
  • J’aimerai bien lire un livre de la sélection de cette année, me dit Nadia le visage tendu, seulement je suis mauvaise lectrice.
  • Tu veux dire que tu as un petit appétit, lui dis-je.
  • Oui, dit-elle, sourire aux lèvres, étonnée sans doute de l’encouragement que je lui donne. Je lis très lentement, ajoute- t-elle.
  • Je lui propose « Dans la famille Briard, je demande Margot » (SMADJA, Ecole des loisirs, neuf). Elle prend le roman de 100 pages en ajoutant : « Il me faudra un mois pour le lire », quand son professeur de lettres, le même que pour les 4e, nous interrompt :
  • Tu attendras pour lire ce roman. Demain je vous donnerai une liste de romans sur la guerre.
  • Ah, non Madame, pas la guerre, supplie-t-elle en joignant les mains.

Le lendemain, je récupère la sélection sur la guerre de 14-18 : 2 romans jeunesse parus il y a 10 ans et 21 romans adultes comme « Dans la guerre » d’Alice Ferney, « Aurélien » d’Aragon, « Voyage au bout de la nuit » de Céline. Je pense aussitôt à Nadia qui était si heureuse d’entamer un petit livre et à qui les textes imposés par son professeur sont pour l’instant inaccessibles. Et pourtant, elle pourrait entrer dans la guerre, mais par des œuvres à sa mesure. Par exemple : – « A la vie, à la mort« , nouvelles de Paule DU BOUCHET (Gallimard, scripto) ou « Camarades« , roman de CUENCA, Labor). – Les textes illustrés : « L’horizon bleu » (PIATEK, petit à petit) ou « La Trêve de Noël » (MORPURGO, Gallimard). – Les albums : « Rendez-vous sous les cerisiers » (GENIN, Le Baron perché) ou « Une si jolie rencontre » (LAFFON, Seuil) ou « Belle petite monde : histoire de poilus » racontée par THIERRY (Sodomy éditions).

En refusant d’utiliser l’édition jeunesse comme une voie d’accès personnelle à la littérature, en niant la variété des appétits et des souffles de chaque jeune, on fait du tort autant aux auteurs qu’aux lecteurs.

Professeurs de français, c’est en offrant aux jeunes des textes à leur mesure, en lisant avec eux, en reconnaissant leurs lectures, que vous ferez naître le désir de lire (d’où viendra ensuite et seulement le possible plaisir), que vous leur donnerez confiance, que vous leur permettrez « de se construire une première image cohérente du monde que les lectures suivantes complexes amèneront à nuancer »*. Ainsi, vous laisserez une trace « goûteuse » et vivante de la littérature autrement plus riche et incitatrice que l’image scolaire et ennuyeuse de la lecture que se forgent des centaines d’adolescents à qui l’on continue à faire des offres d’autant plus démesurées qu’elles sont peu ou mal accompagnées.
Véronique Marie LOMBARD (février 2007)

* TODOROV : La littérature en péril (Flammarion, Café voltaire, 2007)

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