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Petit coup de pouce au changement

Empêchés ou oubliés ?

6 juillet 2009

Catherine se fait relire Les aventures de la famille Mellop de Tomi Ungerer. Christian commente L’ogre (Rue du monde). Agathe dévore les titres de la collection Ceux qui ont dit non. Ali se reconnaît dans Moi, Dieu merci qui vis ici de Thierry Lenain. Paulette rêve devant Artistes de nature publié chez Plume de carotte. Ces lecteurs ne sont pas des enfants ! Ce sont des adultes handicapés, alités, malvoyants, illettrés, âgés, prisonniers, qui sont répertoriés en bibliothèques comme publics « empêchés », c’est-à-dire comme des personnes qui ne peuvent accéder à la culture pour des raisons judiciaires, sociales ou médicales (définition dokupedia) !!!

Quand bien même ils seraient bien-portants, jeunes ou autonomes, ils n’iraient pas d’eux-mêmes à la bibliothèque pas plus qu’à l’opéra ou au théâtre. Ceux d’entre eux qui ont la lecture intime comme centre d’intérêt peuvent bénéficier du prêt par portage depuis la bibliothèque ou par échange avec leur entourage. Les autres « empêchés » sont exclus de ces lieux clos difficiles d’accès avec un fonctionnement déroutant : accueil administratif, organisation complexe, offre prolixe, règles de fonctionnement obsolètes. « Où sont les plus démunis pour lesquels les bibiothèques ont été conçues mais pour lesquels elles ne fonctionnent pas ? »*

Ils restent dehors et attendent simplement qu’on aille à leur rencontre et qu’on tisse un lien entre leur vie et le fonds de la bibliothèque. Ils ont besoin des bibliothécaires et de leurs encadrants (animateurs, soignants) pour découvrir des albums et des documentaires qui leur conviennent :
– soit dans la bibliothèque à travers des visites découvertes avec des dégustations d’ouvrages et de supports finement choisis qui font comprendre aux invités qu’ici il y a un peu de leur vie, du pays dont ils viennent, des choses qu’ils aiment faire, des questions qu’ils se posent.
– soit sur leur lieu de vie ou de rencontre, à travers le prêt d’un pack de livres : une dizaine de titres partagés par chacun quelque soit son bagage intellectuel. La lecture, même chaotique, des uns est nourrie par celles des autres et inversement : quand Christian, le prétendu illettré, me raconte le décalage entre sa représentation d’un ogre à travers un conte de son enfance, et l’illustration proposée dans l’album récent, je me sens toute petite devant lui. C’est lui l’apprenant qui m’apprend à lire !

Ces publics ne sont pas « empêchés » : ils sont oubliés. Par leur regard neuf et leur sensibilité exacerbée, ils nous apprennent à lire mieux et davantage ! On a tout à gagner à les côtoyer et à lire avec eux. Nombre de professionnels se retranchent derrière le manque de temps (leitmoiv sur lequel portera un prochain billet). Et pourtant accueillir tous les habitants est la mission première des bibliothèques qui ne devraient pas être « réservées » aux étudiants et aux classes moyennes comme elles le sont actuellement*. Sinon pourquoi les dit-on municipales ?
Véronique Marie Lombard (juillet 2009)

*Benoît Yvert, directeur sortant du CNL, Journal le Monde , horizons, 13 juin 2009

Ce billet est inspiré par les témoignages des groupes Lutilea qui participent en Saône et Loire au projet 1, 2, 3 albums (blog : 123albums.livralire.org)

Une liste d’ouvrages tout public puisés en secteur jeunesse, dressée à l’occasion de journées sur la lecture à l’hôpital, est disponible sur simple demande.

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