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Petit coup de pouce au changement

A propos des prix littéraires jeunesse

18 janvier 2011

Début décembre 2010, des bibliothécaires et des enseignants découvrent les nouveautés avec un libraire. Les commentaires vont bon train sur La règle d’or du cache-cache (Actes sud junior), Baobab de l’album au salon de Montreuil 2010. Trouvant le texte opaque et l’esthétique ordinaire, le groupe s’interroge sur le sens de ce prix qui met en avant chaque année un titre soi-disant innovant. Le libraire ajoute qu’il n’a nullement l’intention d’en faire des piles, les prix jeunes ayant des retombées commerciales négligeables.
Le débat se déporte alors sur les prix organisés pour du public jeune, que nombre de bibliothécaires adoptent comme canevas d’animation avec les scolaires sans en être maître d’œuvre. S’interroger sur les tenants et aboutissants de ces prix (sélection, utilisation, gestion, impact), c’est permettre d’adopter tel ou tel prix en connaissance de cause et de comprendre à quoi tiennent les déceptions fréquentes et inavouées.

Quels sont les objectifs annoncés?

Les prix sont proposés par des institutions, des fondations, des associations, des collectivités pour :

  • lutter contre l’illettrisme (Les Incorruptibles)
  • faire participer les jeunes à un jury (Le prix Tam-Tam)
  • soutenir la création littéraire et développer le sens critique (Prix des lycéens et apprentis de Bourgogne)
  • valoriser une thématique (Prix Chronos)
  • vivre un marathon littéraire (Goncourt des lycéens)
  • favoriser la rencontre entre lecteurs et auteurs

Et si c’était pour lire tout simplement, seul et en groupe ?

Comment sont constituées les sélections?

Les livres proposés à la lecture des jeunes sont choisis par des comités sans que l’on sache toujours leur composition, leur mode de fonctionnement, leurs critères. Choix de groupe ne veut pas dire choix collégial. Un fort en gueule qui n’a lu qu’un ou deux titres peut imposer ses choix face à des connaisseurs. Les membres du comité de sélection ont-ils eu des lectures juxtaposées ou des lectures croisées ? Le comité a-t-il des contraintes qui orientent le choix dès le départ comme :

  • le nombre de livres. Il est très différent de devoir choisir entre 4 et 10 titres.
  • un thème. Le risque est de sélectionner un titre médiocre du moment qu’il colle au sujet.
  • l’engagement induit pour l’éditeur. Personne ne s’étonne de ne voir aucun livre de l’Ecole des loisirs dans le Prix des Incorruptibles !
  • le cloisonnement des secteurs. Les collections ados sont aveuglément écartées par les professionnels pour le prix des lycéens de Bourgogne. Exception en 2010, avec Le temps des miracles d’Anne-Laure Bondoux grâce à sa double édition jeunesse et adulte !
  • le filtrage exercé par l’Education nationale. A Clamart, les bibliothécaires proposent des nouveautés repérées dans les offices jeunesse. L’Education Nationale dispose !
  • la censure adulte. En 2008, les ados de Rennes qui sélectionnent des romans pour leurs pairs ont vu deux titres censurés par les adultes !
  • l’origine de l’auteur. Comme le projet est assorti de rencontres d’auteurs, on exclut dès le départ les auteurs lointains ou étrangers, ou pire, on s’assure avant de sélectionner un livre français que son auteur se déplacera. La disponibilité de l’auteur prévaut sur l’intérêt de son texte.

Après un temps de lecture variable, les participants sont invités à voter pour leur livre préféré. Quel crédit accorder au vote des participants au prix?

  • Quand la bibliographie proposée n’est pas adaptée à l’âge du public concerné et que certains titres ne seront pas (ou très peu) lus par le public visé.
  • Quand les livres n’ont aucun rapport entre eux (genre, narration, souffle) et qu’on ne saurait les comparer.
  • Quand les adultes prennent l’activité à la légère et n’accompagnent pas la lecture des livres « exigeants », anormalement perdants au final !
  • Quand le vote est doublé d’une fiche écrite qui convient aux bons élèves et met les autres à l’écart !
  • Quand le vote est fait à la va-vite !

Quel est l’impact des prix jeunesse ?

Sur la diffusion de l’œuvre :

  • Seul un public d’initiés s’intéresse aux nominations. L’année où nous avons présenté Le dernier géant (François Place, Casterman) à des 6e, aucun professeur ni documentaliste des quinze collèges concernés ne connaissait ce texte illustré qui avait à l’époque pourtant déjà reçu huit prix!
  • La clientèle fait davantage confiance aux offres personnalisées du libraire ou demande conseil aux bibliothécaires.

Sur la lecture :
On a lu (comment ?) quatre ou six livres et après ? Quelle mémoire ont les jeunes des livres et du projet ? La lecture a-t-elle créé des liens entre lecteurs ? En quoi cela a-t-il dopé l’emprunt des livres et la lecture d’autres ouvrages ?
Sur le travail en bibliothèque :
La gestion du prix est-elle menée en équipe ? En quoi le projet resserre-t-il les liens avec les enseignants ? En quoi renforce-t-il l’identité de la bibliothèque?

Les prix jeunesse sont trop souvent adoptés par facilité : c’est du clé en main. Cependant, ils s’avèrent efficaces quand ils sont conçus et menés par les acteurs de terrain qui investissent les livres qu’ils présentent et nourrissent la lecture des jeunes, donnant à chaque participant les moyens de comprendre ce qu’il lit, de partager des questions, d’exprimer ses ressentis, d’établir des liens. Alors, les prix laissent aux jeunes lecteurs une trace de lecture vivante et créative et non le souvenir d’un challenge avec risque avéré d’amalgame malheureux : lecture = compétition ou bibliothèque = école.
Véronique-Marie Lombard (Janvier 2011)

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